Le mot de la semaine : « bruk »

Chaque année au mois de juin, le Nationalmuseum organise pour son personnel une excursion d’une journée qui a toujours pour but un site historique. Lundi dernier, le 14 juin, nous quittions le musée vers 8h30 en direction de Lövstabruk. L’ancienne orthographe vous aidera à prononcer ce nom: Leufstabruk.

Lövsta est le nom du lieu, situé dans la province d’Uppland, dans la « préfecture » d’Uppsala, c’est-à-dire au nord de Stockholm, à environ 140 km de la capitale.

« Bruk » se traduit par « usine », mais je trouve que ce mot ne convient pas vraiment dans le contexte historique des XVI-XVIIIème siècles. « Manufacture » est peut-être plus approprié dans ce cas-là. Le mot « bruk » ne s’utilise, à ma connaissance, que dans le cas d’anciens sites industriels. Pour les usines de nos temps modernes, on dit plutôt « fabrik ».

La façade du manoir en cours de restauration – La façade arrière du manoir

La façade du manoir, en cours de rénovation Le manoir vu depuis le parc

« Bruk » est d’origine germanique, bien sûr :-), comme pas mal d’autres mots suédois. Aujourd’hui, on l’utilise plus souvent dans les sens d’« usage, emploi, coutume, pratique, culture (agricole) ». À partir de ce mot, on peut construire le verbe « bruka » qui signifie « utiliser, employer, cultiver, exploiter », mais aussi « avoir l’habitude de ».

ett bruk [ète bruque] = une manufacture

bruket [bruquète] = la manufacture

bruk [bruque] = des manufactures

bruken [bruquène] = les manufactures

Le parc

Lövstabruk est donc une ancienne manufacture de fer dont l’histoire remonte aussi loin qu’en 1596. On plaça cette manufacture juste à cet endroit pour exploiter la force de l’eau des nombreux lacs et cours d’eau descendant vers la mer Baltique et en même temps pour sa proximité des ports de la côte qui permettait l’exportation du fer vers l’Europe. Cependant, les bâtiments actuels datent des années 1720. En effet, le site fut brûlé en juillet 1719 par les Russes lors de la Grande guerre du Nord qui opposa la Suède (alliée à l’empire ottoman) à la Russie (alliée au Danemark et à plusieurs principautés allemandes) entre 1700 et 1721. Charles de Geer (1660-1730) fit reconstuire le site entier, c’est-à-dire les habitations des ouvriers, le manoir et l’église, cette fois-ci en pierre.

Pancartes – Une oeuvre d’art sculptée – Boîtes aux lettres en rang

Depuis 1641, le site appartenait à la famille d’origine hollandaise De Geer, qui importa la méthode wallonaise de raffinement du fer qui, lui, venait de Dannemora, à 30 km de Lövsta. De nombreux ouvriers à Lövsta étaient des immigrants wallonais. Ils participèrent à faire de Lövsta un des plus grands centres de production de fer au monde au XVIIIème siècle. L’activité sidérurgique de Lövsta s’arrêta définitivement en 1926 ; on avait depuis un moment changé de processus de raffinement et adopté la méthode de Lancashire.

Une fenêtre vitrée – Une façade bien fleurie – La pancarte de l’auberge – L’entrée de l’auberge

On dit que cette manufacture forma une communauté très particulière, relativement fermée au monde extérieur, au sein de laquelle les ouvriers vivaient au rythme des forges et dont les besoins étaient pourvus par leurs maîtres, la famille De Geer, sous forme d’école pour les enfants, de médecin pour les soins du corps et d’église pour les soins de l’âme. Les habitations des ouvriers sont en partie conservées et s’alignent le long de la rue qui fait face au manoir.

La volière – L’orangerie – L’allée d’ormes avec un arbre malade

Le manoir (« herrgård » [‘hèregaurde] en suédois) est composé d’uncorps principal et de deux ailes sur deux étages. Un peu plus loin s’élèvent deux ailes en demi-cercle qui servait de logement pour le personnel et de réserves. L’intérieur du manoir date essentiellement du XVIIIème siècle. Au rez-de chaussé, une grande salle à manger, et à l’étage, les chambres. Dans les ailes, les chambres d’invités et les cuisines. De part et d’autre du manoir, près de l’eau, ont été construits deux pavillons pour abriter l’un une bibliothèque qui est l’une des plus riches du pays avec ses nombreux volumes du XVIIIème siècle, l’autre un cabinet de curiosité comprenant essentiellement des animaux empaillés et des minéraux.

Le parc baroque est une reconstruction du XXème siècle d’après des plans originaux de 1769. L’orangerie résista aux Russes car elle avait été construite en pierre dès le début et constitue donc le seul bâtiment d’origine du complexe de Lövsta. On y cultive aujourd’hui le pélargonium dit de Lövsta. L’allée d’ormes est malheureusement touchée par le graphiose (ou « maladie hollandaise de l’orme », mais qui en fait est peut-être d’origine asiatique) contre lequel on ne peut rien faire.

L’autel de l’église – La chaire à prédiquer – Le clocher, comme bien souvent en Suède, séparé de l’église

Dans le petit village, très charmant, formé par les anciennes habitations des ouvriers, on trouve aussi une auberge (où nous avons déjeuné après avoir visité le manoir) et une église qui est surtout réputée pour son orgue magnifique. Il a été construit en 1728 (restauré en 2006) par Johan Niclas Cahman (né entre 1670 et 1680-mort en 1737) à qui l’on doit 35 orgues en Suède, dont seulement 6 ont été conservés jusqu’à nos jours (entre autres, l’orgue de la chapelle du château de Drottningholm). Juste au moment où nous y étions, l’organiste jouait après avoir accordé l’instrument en question : ce fut un des plus beaux moments de cette excursion !

L’église – Son orgue

4 reaktioner på ”Le mot de la semaine : « bruk »”

    1. @Pascal : Mais les lis-tu les ”bruksanvisningar” ? 😉
      @JacquesG : Je ne connaissais pas du tout le thème de ”phalanstère”, mais tu as en effet raison, c’est très semblable. (Je suis allée faire un tour sur ton nouveau blog. Bonne continuation !)

  1. Oui, sacré emploi que celui qui consiste à visiter les richesses nationales! 🙂
    Très beau reportage, comme d’habitude.
    Certains aspects me font penser au phalanstère. En tout cas, l’architecture en est remarquable.

    bruka=brauchen en allemand, qui veut dire aussi avoir l’habitude de
    broich: ainsi se terminent des noms de lieu dans l’Allemagne centrale. L’idée est que l’on a fait une coupe sombre dans la forêt pour y installer qqch, y construire.

    (j’en profite pour te signaler que l’adresse de mon blog à moi a changé et qu’il est devenu plus joli).

  2. Oui, sacré emploi que celui qui consiste à visiter les richesses nationales! 🙂
    Très beau reportage, comme d’habitude.
    Certains aspects me font penser au phalanstère. En tout cas, l’architecture en est remarquable.

    bruka=brauchen en allemand, qui veut dire aussi avoir l’habitude de
    broich: ainsi se terminent des noms de lieu dans l’Allemagne centrale. L’idée est que l’on a fait une coupe sombre dans la forêt pour y installer qqch, y construire, y cultiver (autre sens de bruka!). C’est parent avec brechen.

    (j’en profite pour te signaler que l’adresse de mon blog à moi a changé et qu’il est devenu plus joli).

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