La maison de mes rêves

Elle se tient là, au bout d’une allée de bouleaux, toute rouge, avec ces encadrements de fenêtres blancs, le toit pentu, entourée d’un vaste jardin qui fleurit au printemps et donne fruits et légumes en été. La visite révèle un intérieur cosy avec pièces à vivre au rez-de-chaussé et chambres à l’étage. Depuis la terrasse, à l’arrière de la maison, la vue s’étend sur un lac limpide dans lequel se mire parfaitement la berge opposée.

Son prix n’est qu’un détail.

L’endroit est tout simplement féérique. On en vient à penser que c’est trop beau pour être vrai… Ce n’est pas seulement la maison de mes rêves. C’est une maison parfaite, sans défaut. Malgré son aspect traditionnel, elle propose tout le confort moderne auquel on peut s’attendre à notre époque.

Alors pourquoi cette hésitation au moment de signer le contrat ?…

Je demande une temps de réflexion de quelques jours. Le notaire et le vendeur me l’accordent ; ils croient que j’ai peur de me plonger dans un gouffre financier. En réalité, ce dont j’ai peur, c’est de réaliser ce rêve. Car si je le réalise, de quoi rêverais-je ensuite ? Pourrais-je rêver au moins ? Si oui, mes rêves risquent de prendre des proportions immenses, irrationnelles. Peut-être même en deviendrais-je malheureuse ? Trop de bonheur tue le bonheur. Et le bonheur ne peut en aucun se résumer à une maison.

Idéaliste ? Peut-être. Mais ma décision est prise : je préfère garder cette maison dans mes rêves que de la rendre quotidienne. Je préfère lui laisser une place dans mes rêves que dans ma vie réelle. Je m’y évaderai lorsque la réalité sera trop lourde à supporter, le temps de mettre les choses au point. C’est cela : cette maison sera mon lieu de retraite, mon île déserte, ma forteresse. Un endroit, fictif mais constant, où me reposer, me ressourcer et repartir d’un bon pied. Un endroit toujours accessible, toujours ouvert, toujours prêt à m’accueillir mais qui me laissera aussi repartir sans me retenir, qui me donnera de l’élan et une nouvel espoir en l’avenir.

Le lendemain, je rencontre de nouveau le notaire et l’actuel propriétaire et leur annonce que je ne signerai pas le contrat. Ils essayent de me convaincre en me proposant des aides financières. Je les laisse perplexes après avoir déclarer que la maison de mes rêves doit restes telle quelle : la maison de mes rêves.

Un lieu, un être, une odeur

En arrivant dans ce pays moderne, il fut étonné de beaucoup de choses. Il s’y attendait avant de partir mais la réalité se révélait être tout autre que ce qu’il s’était imaginé.

Il savait que les gens avaient de grands yeux. Mais là, il trouvait que tout le monde le scrutait, le dévisageait comme une bête bizarre. Ils étaient tous très grands aussi ; il se sentait tout petit.

Il ne comprenait pas la langue non plus. Il savait parler anglais et il croyait que ces compatriotes pouvaient parler cette langue. Mais il ne les comprenait pas. Ou était-ce lui qui ne les comprenait pas ? Toujours est-il que la communication passait mal.

Finalement, il se retrouva parmi des gens comme lui, émigrés du même pays, avec les même yeux, la même langue, la même culture, la même histoire, les mêmes problèmes … Ils l’aidèrent à trouver du travail, dans la même branche : la restauration. Mais il n’avait aucune expérience dans ce domaine-là, alors il commença par faire la plonge. Depuis midi jusqu’aux aurores, il lavait des piles d’assiettes et des tonnes de couverts dans une cuisine sombre dont les fenêtres ouvraient sur une cour lugubre. C’était son quotidien.

Un an plus tard, un nouveau venu prit sa place et il monta en quelque sorte en grade. Il s’occupait désormais de préparer les ingrédients que le cuisinier utilisait dans ses plats. Pour la première fois, il vit les mets qui étaient servis sur les assiettes qu’il avait lavé pendant un an, sans savoir ce qu’elles avaient contenu. Mais c’était des plats complètement inconnus pour lui : des sortes de grandes galettes fines, couvertes de légumes divers, de viande, des fruits de mer et d’épices. Ces grandes galettes étaient chauffées quelques minutes dans un grand four avant d’être servies.

Le cuisinier l’appréciait : il était appliqué dans son travail. Il le prit sous son aile, l’aida à régulariser sa situation et l’incita à prendre des cours de langue. Même s’il avait appris à se débrouiller à l’oral, il avait besoin de faire des progrès pour s’intégrer dans cette nouvelle société – car elle était toujours nouvelle pour lui.

Petit-à-petit, il apprit le nom des ingrédients des galettes et que ces galettes n’étaient pas typiques de la gastronomie du pays d’accueil, mais d’un pays plus au sud. Les galettes s’appelaient des « pizzas ».

Le cuisinier lui apprit à utiliser son odorat pour faire la différence entre les épices qui, en apparence, se ressemblaient. Il avait plus de mal à retenir leur nom. Il ne trouvait pas d’équivalence avec les épices de son pays natal.

Un beau jour, le chef du restaurant lui annonça qu’il était prêt à passer en salle : il ferait désormais le service. Il changea le tablier blanc contre un costume noir. Et il s’appliqua à bien prononcer les mots de la nouvelle langue qu’il commençait maintenant à maîtriser. Son réseau de connaissances s’élargit naturellement, d’abord les autres serveurs, puis les clients fidèles qui, de plus, appréciaient le service soigné qu’il offrait.

Une jeune femme commença à venir régulièrement. Puis elle resta jusqu’à la fermeture du restaurant pour pouvoir parler avec lui, puis faire un bout de chemin ensemble. Un soir, il l’emmena chez lui. Il habitait tout en haut d’un immeuble. La montée des escaliers fut longue, mais une fois en haut, elle ne le regretta pas : la vue depuis la fenêtre de la mansarde était splendide ! La ville entière s’étendait sous leurs yeux.

Ce fut un moment très romantique. Un moment si cher à tous les deux que, quand ils prirent la décision d’emménager ensemble, ils prirent un appartement aussi bien situé en hauteur, mais dans un meilleur quartier et dans un immeuble avec ascenseur. À deux, ils avaient les moyens. Surtout depuis qu’il avait pris la tête du restaurant après que le chef ait pris sa retraite. Et désormais, il pouvait dire le nom des épices sens hésitation aucune.