#1 Qu’avons-nous fait de nos rêves ? (2010, titre original: A visit from the goon squad) de Jennifer Egan
Treize persones, qui ont plus ou moins de rapport les unes avec les autres, racontent chacunes leur histoire, sur vision de la vie et le temps qui passe. Les récits s’imbriquent les uns dans les autres de manières à ce que, de chapitre en chapitre, le lecteur comprenne comment ils sont liés entre eux. Mais le plus intéressant dans ce roman est que l’auteure utilise des styles différents pour chaque personne, des styles qui conviennent à chaque personalité. Le style le plus original est la présentation Powerpoint qui oblige à pivoter le livre un quart de tour et à tourner les pages de bas en haut au lieu de droite à gauche.
#2 Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? (2011, titre original: Why Be Happy When You Could Be Normal?) de Jeanette Winterson
Dans ce roman autobiographique, Winterson raconte son enfance dans une famille ouvrière stricte et de croyance non-conformiste. Sa mère adoptive, qu’elle appelle Mrs Winterson, est cruelle et ne se retient pas blâmer sa fille pour un rien. Elle interdit tout ce qui peut ressembler aux loisirs, même la lecture, sauf celle de la Bible. Pourtant c’est grâce à la littérature que la fillette va s’en sortir, quoique non sans quelques séquelles psychologiques. Que Jeanette préfère les filles aux garçons n’arrange pas les choses et on l’expose à une séance d’exorcisme, en vain. Qu’elle rencontre le succès en tant qu’auteure à l’âge adulte n’aide pas non plus. Sa mère adoptive ne peut tout simplement pas se réjouir pour sa fille. Un peu de lumière, d’espoir et de chaleur humaine perce dans cette misère quand Jeanette retrouve sa mère biologique.
#3 En storm kom från paradiset (2012, Une tempête venant du paradis [ma traduction]) de Johannes Anyuru
Anyuru relate le destin de son père: né en Ouganda, formé pilote d’avion en Grèce, emprisonné, interrogé et torturé en Zambie, avant d’arriver en Suède. L’histoire en elle-même est terrible, mais je n’ai pas du tout accroché et je ne suis même pas arrivée à la moitié du livre. Je ne sais pas si c’est le style d’Anyuru och la personalité du père qui me semble pratiquement inexistante, mais les 200 premières pages ne m’ont pas du tout touchée.
#4 1Q84 (le 1er tome des 3) (2009, titre original: Ichi-kyū-hachi-yon) de Haruki Murakami
J’ai découvert Murakami après avoir vu la filmatisation de Norwegian Wood. J’ai dévoré le livre tout de suite après et fut encore plus émue par l’histoire. J’adore le style de Murakami et 1Q84 ne m’a pas du tout déçue, même s’il est bien différent de Norwegian Wood. J’aime la manière dont il tisse l’histoire en alternant les uns après les autres les chapitres consacrés aux deux protagonistes, Aomame et Tengo. J’ai sa manière de décrire les différents personnages, tout en retenue et avec une grande intégrité. J’aime l’atmosphère quelque peu surréaliste, une atmosphère dans laquelle je me sens tout à fait tranquilisée. Je lis actuellement le 2ème tome, je n’ai aucune idée de la direction que l’histoire va prendre, mais je m’en remets totalement à Murakami.
#5 1984 de George Orwell
Un classique que, je dois le reconnaître, je n’avais pas encore lu. Il n’a rien à voir avec 1Q84 de Murakami, à part le fait que les titres se ressemblent, mais mon choix de le lire tout de suite après était tout à fait délibéré. Par contre, c’était par le plus pur des hasards que cela coïncidait avec quelques scandales d’écoutes (je l’ai lu à la fin du printemps, début de l’été). Outre ce contexte qui rendait le roman d’autant plus actuel, j’ai trouvé qu’Orwell posait d’intéressantes questions éthiques : à quel point pouvons-nous autoriser la surveillance, comment réagirions-nous si on nous demandait de s’espionner les uns les autres, jusqu’à quel point osons-nous résister, aurions-nous la force, sous la torture, de ne pas dénoncer nos amis et connaissances et ainsi risquer notre vie ?
#6 Gatsby le Magnifique (1925, titre original: The Great Gatsby) de F. Scott Fitzgerald
J’ai débuté l’été avec un autre classique, après avoir vu le film. Le roman m’a autant touchée que le film. J’ai lu 1984 et Gatsby le Magnifique dans la langue originale et je crois que ça joue beaucoup pour qu’on puisse en tant que lecteur se laisser pénétrer par les ambiances. C’est bien sympa aussi de se rendre compte qu’on est capable de lire un roman entier en anglais !
#7 Hör bara hur ditt hjärta bultar i mig (2006, Entends comme ton cœur bat en moi [ma traduction])
#8 Kom och hälsa på mig om tusen år (2007, Viens me rendre visite dans mille ans [ma traduction])
#9 De från norr kommande leoparderna (2009, Les léopards venant du nord [ma traduction])
#10 Och en månad går fortare nu än ett hjärtslag (2012, Et un mois passe plus vite qu’un battement de cœur [ma traduction]), livres de bord de Bodil Malmsten
Malmsten est une des mes auteures suédoises préférées. Je l’ai découverte avec le roman Priset på vattnet i Finistère (Le prix de l’eau dans le Finistère [ma traduction]) où les chocs culturels m’ont bien fait rire, puis au théâtre avec Tryck stjärna (Appuyez sur la touche étoile [ma traduction]) qui était terriblement drôle dans son absurdité. On retrouve le même ton, tour à tour blasé, amer et cynique, dans ses journaux de bord et j’ai vraiment apprécié de pouvoir comprendre ses références aux cultures françaises et suédoises. Je n’ai pas encore lu le dernier journal de la série Och ett skepp med sju segel och femti kanoner ska försvinna med mig (2013, Et un navire à sept voiles et cinquante canons disparaîtra avec moi [ma traduction]). Je suis aussi intéressée par Så gör jag — Konsten att skriva (2012, Voilà comment je fais — L’art d’écrire [ma traduction]).
Les livres de bord de Malmsten se lisent vite et facilement et j’ai dû donc m’approvisionner dans la bibliothèque de mes parents : les deux livres suivants ont été de très belles découvertes, quoique très différentes.
#11 Journal d’un corps de Daniel Pennac, illustré par Manu Larcenet
Un corps d’homme décrit sa vie du berceau (presque) à la tombe, avec quelques interrumptions ça et là au fil des années. Pennas excelle dans l’exercice de prendre un point de vue inhabituel et décrit de manière parfois marrante, parfois émouvante, toutes les expériences et les sentiments à travers lesquelles un corps grandit, souffre, jouit et vieillit.
#12 Les insurrections singulières (2011) de Jeanne Benameur
Antoine, bientôt 40 ans, devient chômeur et célibataire et commence à perdre espoir quand il rencontre un voisin de ses parents. C’est la naissance d’une belle amitié sans parti pris entre eux et Antoine sort de la dépression en passant par le Brésil et une autre belle rencontre. Benameur parle aussi bien des questions philosophiques issues d’une classe ouvrière en crise que des questions existentielles surgissent chez un être humain bouleversé par un changement de situation radical.
#13 Gräset är mörkare på andra sidan (2012, L’herbe est plus foncée chez le voisin [ma traduction]) de Kaj Korkea-aho
Quatre hommes ayant grandis ensemble se retrouve dans le village de leur enfance en Österbotten (région de Finlande) à l’occasion du décès dans un accident de voiture de la compagne de l’un d’eux et de son enterrement. Chapitre après chapitre, écrits de points de vue différents, se développe l’histoire de leur amitié, le passé se mêle au présent, la réalité à la mythologie, les événements traumatiques à la peur irrationnelle. Ce livre tient en même temps du roman d’enfance et du roman à suspens, un peu comme un thriller. Il est en plus très bien écrit ! C’était mon premier contact avec la littérature de langue suédoise de Finlande, un contact très positif !
#14 Aldermanns arvinge (2013, L’héritier d’Aldermann [ma traduction]) av Gabriella Håkansson
Un roman historique qui se déroule dans le Londres du XIXème siècle et commence d’une manière fascinante par un accouchement dramatique dans un hôtel particulier. la mère ne survit pas, le père meurt peu après et le garçon, William, grandit entouré d’une horde de domestique et élevé par des amis proches de son père, deux hommes âgés qui partagent avec lui sa passion pour l’Antiquité. William devient obsédé par Napoléon et Håkansson nous fait quitter les beaux (et moins beaux) quartiers de Londre pour l’Italie en passant par la France. L’histoire est par moments palpitante, surtout grâce au tuteur allemand, mais ce roman long de 800 pages n’aurait pas souffert d’être réduit de moitié. Le langage ampoulé n’améliore pas mon verdict. La suite sort en 2014. Je ne la lirai PAS.
#15 Egenmäktig förfärande — en roman om kärlek (2013, Atteinte à la possession d’autrui — un roman d’amour [ma traduction]) av Lena Andersson
Un petit roman qui décrit comment Ester devient amoureuse et carrément obsédé par Hugo. Je l’ai dévoré en moins d’une semaine. Andersson analyse et trouve les mots justes pour décrire les sentiments, les pensées et les gestes de manière tout à fait exceptionnelle ! On se reconnaît dans de nombreuses situations : par exemple à quel point il est facile de mal interpréter (ou abusivement) le moindre petit signe (qui en fait n’est pas un signe à proprement parler) seulement parce qu’on en a besoin, pour continuer à vivre avec une petite pointe d’espoir. D’ailleurs la définition de l’espoir que Lena Andersson donne est tout à fait juste et pertinente :
[quote]L’espoir est un parasite sur le corps humain et vit en parfaite symbiose avec le cœur humain. Il ne suffit pas de lui enfiler la camisole de force et de le reléguer dans un réduit osbcur. Un régime draconien n’est d’aucune utilité, on ne peut pas mettre le parasite au pain et à l’eau. Il faut étouffer complètement la source d’approvisionnement. Si l’espoir peut se procurer de l’oxygène, il le fera. Il trouvera l’oxygène dans un adjectif mal orienté, un adverbe irréfléchi, un geste compensatif de pitié, un mouvement physique, un sourire, un regard malicieux. [ma traduction][/quote]
#16 Trop de bonheur (2009, titre original : Too Much Hapiness) av Alice Munro
J’ai découvert Munro il y a quelques années avec Un peu, beaucoup, pas du tout. On retrouve dans Trop de bonheur son style à première vue simple qui décrit des situations, des atmosphères, des sentiments avec seulement quelques mots. Il ne s’agit pas du tout de bonheur dans ces nouvelles, mais plutôt de l’absence de bonheur : violences, meurtres, accidents, divorces, maladies etc. Mais ça ne devient jamais dramatique chez Alice Munro. Sur toutes les nouvelles règne une sorte de calme triste qui laisse un sentiment d’accablement. J’avais besoin de faire une pause entre chaque récit. La dernière nouvelle diffère des autres car plus longue et basée sur une histoire vraie : même si elle traite des derniers jours de la mathématicienne Sofia Kovalevskaïa, elle est un peu plus optimiste que les autres nouvelles.
#17 Väldigt sällan fin (2012, Très rarement bon [ma traduction]) av Sami Said
J’ai tout d’abord était très touché par le style de l’auteur qui, je pense, reflète sa langue maternelle (ce qui rend la chose d’autant plus intéressante pour moi qui suis passionnée de langues), avec des phrases courtes et des dialogues intégrés. Mais l’histoire est aussi très bien : Noha quitte sa famille à Göeborg pour aller étudier à l’université de Linköping. Il se tient à l’écart et on comprend rapidement qu’il a du mal à interréagir avec les autres, de manière presque autiste. Mais Sami Said décrit ce comportement avec beaucoup d’intégrité et de tendresse et le lecteur ne peut que se prendre de sympathie pour Noha. Noha est tiraillé entre ses parents qui le poussent à défendre ses origines — musulman d’Érythrée — et les rares amis suédois qu’il a. En fait, Noha veut qu’on le laisse en paix, mais il rencontre Fredrik, qui se convertit à l’islam, et Anna, qui s’amourache de lui plus ou moins contre son gré, mais d’un autre côté il ne fait pas vraiment d’effort pour résister. Finalement, lors d’un voyage en Érythrée après le décès de son grand-père, il se rend compte qu’elle lui manque. Ce livre traite de chocs culturels, de préjugés (des deux côtés), de religion, d’ethnicité, d’intégration, mais surtout d’un jeune homme qui cherche son identité, sa place et son rôle dans la famille et la société, une sorte de roman d’initiation.
En résumé, une bonne année de lecture avec de belles découvertes (#11, #12, #13, #15, #16, #17, difficile de désigner le meilleur), quelques auteurs favorits (#4, #7—10), deux classiques (#5 et #6) et seulement deux livres difficile à finir (#3 et #14). Deux nouveautés : lire en anglais et en numérique. Mais je n’ai pas encore complètement abandonné le papier.
Version suédoise ici