Le 15 de chaque mois, à midi (heure de Paris), des Rédac’Blogueurs écrivent de concert sur le même sujet. Ce mois-ci le thème est : une rencontre improbable, et les participants sont : Leviacarmina, Agnès et Denis. Allez également visiter leur blog et n’hésitez pas à laisser des commentaires !
Il y a quelques années, j’ai fait la rencontre d’un homme à travers les archives personnelles qu’il avait légué au musée qu’il avait créer plusieurs décennies auparavant. J’avais été embauchée comme archiviste au Moderna Museet, le musée d’art moderne de Stockholm, sur la base de ma formation dans le domaine mais également de mes compétences linguistiques puisqu’une grosse partie de ces archives étaient en français.
L’homme à l’origine de ces archives était Pontus Hultén. Il débuta sa carrière au Nationalmuseum à Stockholm et fut à l’origine de la scission entre ce musée et son département d’art moderne qui devint le Moderna Museet, qui connut ensuite ses heures de gloire dans les années 60. Plus tard, il sera appelé à diriger de grands musées à l’étranger, tels le centre Pompidou/Beaubourg à Paris, le MoCA en Californie, le Palazzo Grassi à Venise et le Museum Jean Tinguely à Bâle, bien souvent dès leur genèse.
En 2005, il fit don de sa collection d’art, de ses archives et de sa bibliothèque de livres d’art au Moderna Museet. En novembre 2006, je m’attelais à la tâche de mettre de l’ordre dans les archives et surtout de les inventorier. (Sa secrétaire était très ordonnée !) Le 26 octobre 2006, c’est à dire une semaine environ avant que je commence mon nouveau travail, j’appris la nouvelle de son décès, âge de 82 ans. Un âge non négligeable, si l’on prend en plus en compte tout ce qu’il a eu le temps de réaliser au cours de sa vie. Sans l’avoir jamais rencontré, cette nouvelle m’attrista et plus j’allais apprendre à le connaître par l’intermédiaire de ses archives, plus j’allais regretter de ne jamais avoir au moins la possibilité un jour de lui serrer la main et de lui dire à quel point j’ai étais impressionnée par son œuvre…
Il était un homme cultivé, de formation classique, avec de solides bases de latin, de philosophie et d’histoire de l’art (il écrivit sa thèse sur Spinoza et Vermeer). Il avait un ”nez” infaillible pour les nouveaux talents artistiques. Grand ami de Niki de Saint-Phalle et de Tinguely, il fréquentait également les grands noms du monde de l’art : Marcel Duchamp, Robert Rauschenberg, Jasper Johns, Andy Warhol, Claes Oldenburg, On Kawara etc. Ce monde-là a beaucoup évolué depuis : les relations entre artistes et commissaires d’exposition/chefs de musées ne sont plus du tout les mêmes. La donne est complètement différente au niveau économique, même si l’on considère les jeunes artistes émergents contemporains. Pontus Hultén est pour moi le symbole d’une période résolue qui ne reviendra jamais et qu’on ne doit peut-être pas regretter, mais qu’on ne se doit pas d’oublier pour autant car elle est primordiale dans l’histoire de l’art occidentale.
C’était définitivement une époque différente, beaucoup moins numérique qu’aujourd’hui. Si parfois je pouvais jurer sur le nombre de variantes de textes de catalogue ou le nombre de fax envoyés par Niki de Saint-Phalle, je ne pouvais en même temps pas m’empêcher de penser au peu de choses qu’il en resterait si Pontus Hultén avait vécu à notre époque, avec les mails et les SMS pour moyens de communication principaux…
Ma rencontre avec Pontus Hultén est improbable car impossible, physiquement tout du moins, mais paradoxalement, elle a bien eu lieu et son souvenir en est tout à fait tangible, puisque j’étais plongée dans son univers pendant presque deux ans, au moins cinq jours sur sept. J’ai côtoyé ses pensées, ses textes, ses relations avec les artistes, galeristes, autres chefs de musées par l’intermédiaire des courriers qu’ils s’échangeaient de telle manière que j’ai parfois l’impression de l’avoir rencontré en vrai, finalement.