Il y a un mois, j’ai été interviewée par une journaliste de Dagens Nyheter (DN) et photographiée en long, en large et en travers par un photographe qui me demandait tout le temps de sourire, alors que je croyais sourire … Je n’aime pas poser, ni faire de théâtre, mais il a quand même réussi à choisir une photo parmi les centaines qu’il a prises où je me reconnais à peu près. Le tout a résulté dans un article qui faisait partie d’un reportage sur la perception que les immigrés en Suède ont des Suédois. Étaient aussi interviewés une Chinoise et un Grec en Suède depuis peu et un Anglais en Suède depuis un peu plus longtemps que moi. La Chinoise trouvait que les jeunes suédois ne montraient pas suffisamment de respect envers les personnes âgés – ce que je lui accorde tout à fait – tandis que le Grec ne pouvait pas comprendre pourquoi la ceinture à l’arrière dans les voitures était obligatoire … (Je ne suis pas sûre de vouloir me lancer sur les routes grecques …. :-S) Je me sentais plus proche de la vision de l’Anglais, mais nous étions aussi tous les deux les moins critiques ou les moins choqués par les us et coutumes suédoises. Peut-être parce que nous avons vécus en Suède plus longtemps et que nous avons réussi à nous intégrer et à faire nôtre nombres d’habitudes suédoises.
La journaliste m’a demandé plusieurs fois au cours de l’entretien ce qui me choquait le plus au début de mon installation en Suède. J’avoue ne pas m’en souvenir … Apparemment rien de bien traumatisant, donc j’en déduis que j’étais « naturellement » encline à changer mes habitudes pour m’adapter à la vie suédoise. Voilà ce que je pense des Suédois, en 2009 :
Les Suédois se soucient des uns des autres d’une autre manière que les Français. Il n’est pas rare de voir des gants perdus suspendus bien en évidence dans des branchages, au cas où la personne qui les a perdu referait le même chemin pour les trouver. Il paraît que cette coutume existe dans un petit coin de France célèbre pour son festival de la bande dessinée, mais pour ma part, je n’ai jamais été témoin de ce genre d’action. Mais c’est à mon avis un geste plein d’attention qui mérite d’être répandu.
Souvent, je vois aussi des vélos garés sans cadenas, sans chaîne. « Pourquoi quelqu’un me volerait mon vélo ??!! » Et pourtant, cela arrive et cela choque les Suédois. Là, je les trouve un peu naïfs de croire que tous ont de bonnes intentions. Mais il est vrai que j’ai appris à moins me méfier des gens depuis que je suis en Suède.
L’image habituelle qu’on a des Suédois, même à l’étranger, c’est qu’ils ont peur des conflits, ils sont « konflikträdda », et qu’ils évitent à tout prix de blesser les gens. Cela peut mener à des situations bizarres – à mes yeux – où les gens tournent autour du pot pendant dix minutes avant d’en arriver au vrai problème qui entre-temps a perdu de son importance. Comme le jour où une copine, à qui j’avais demandé de relire un texte, voulait me faire comprendre qu’on écrivait (et disait) « eller hur » [éllère ’hur] et non pas « heller hur » [’héllère ’hure] (= n’est-ce pas). Étant donné les problèmes que les Français ont avec la prononciation du « h » en suédois, j’avais pris l’habitude de mettre un peu trop de « h » ici et là, et fini par croire que ce que je disais et écrivais était correct. Mais j’ai mis énormément de temps avant de comprendre où ma copine voulait en venir ! Elle ne voulait pas que je le prenne comme une critique. Moi qui ai toujours demandé qu’on me reprenne quand je fais des fautes en suédois pour mieux le maîtriser ! (Il faut dire aussi que les Suédois ont peur de se faire traiter de racistes s’ils osent critiquer les immigrés.)
Pour ce qui est des règles sociales, elles ne sont pas très différentes des françaises. Il y a des différences, mais elles sont très subtiles. Ou tout simplement compréhensibles quand on a vécu ne fut-ce qu’un seul hiver en Suède : on se déchausse tout le temps quand on rentre dans un appartement ou une maison, que cela soit le/la nôtre ou celui/celle de quelqu’un d’autre. Personne ne veut avoir des traces de boue et/ou des graviers dispersés partout.
La notion de temps est différente en Suède : il est très important d’arriver à l’heure à un rendez-vous ou une invitation, même éventuellement un peu en avance. Le quart d’heure charentais (ou académique, en fonction d’où on vient) n’est pas du tout d’usage en Suède ! Et il est conseillé d’avoir un bouquet ou un présent quand on est invité chez les gens.
Pour ce qui est de la nourriture, je n’ai pas eu de gros « chocs ». La confiture d’airelle avec les boulettes de viande, c’est loin d’être typiquement français, mais je n’ai eu aucun mal à m’y faire. J’aime bien les mélanges salés/sucrés. Ce qui me gêne le plus dans la nourriture suédois, mais je m’en suis rendue compte sur le tard, c’est le sucre rajouté qui imprègne pratiquement toute la chaîne alimentaire industrielle : le pain, le pâté, le jambon, les plats tout prêts, tout y passe !
Ce que j’apprécie particulièrement chez les Suédois, c’est qu’il remercient pour tout. Parce qu’on leur demande comment ils vont (« Tack, bra! »), parce qu’on les a invité quelques jours avant (« Tack för senast! »), parce qu’on a préparé le repas (« Tack för maten! »), parce qu’on les remercie (« Tack, tack! »). Il y a peu, je me suis surprise à achever mes coups de fils au boulot par ce « Tack, tack » !
J’apprécie aussi le caractère relaxé et informel des relations entre les gens en Suède. Au travail, il y a bien sûr une hiérarchie, mais elle est définitivement moins marquée qu’en France, où on a presque peur du chef et où il est peu recommandé de prendre d’initiative sans en demander l’autorisation auparavant. Le fait de tutoyer tout le monde en Suède y est sûrement pour quelque chose. C’est une des choses qui ont été très difficiles pour moi à accepter. Que les gens me tutoient, pas de problème. Mais que je doive tutoyer mes profs d’université, mes élèves adultes de cours de français, les autorités, mes chefs au boulot … J’essayais toujours de contourner le problème en faisant des constructions de phrases alambiquées pour éviter à tout prix le « tu » (= du) …
Pour finir, je trouve que les Suédois font beaucoup trop confiance aux autorités. On ne remet pas en question les décisions prises en haut-lieu. Quand les sociaux-démocrates avaient décidé de décentraliser de grandes administrations, tout le monde s’est plaint, les gens refusaient de déménager pour suivre leur boulot, des années de compétence sont parties en fumée, mais ça n’est pas allé plus loin. Un jour, j’ai dit à ma belle-mère, employée de « Konsumentverket » (l’Administration nationale de protection des consommateurs), une des administrations qui a maintenant son siège à Karlstad, que c’était une bonne occasion de faire grève, pour faire comprendre aux politiques qu’on joue pas avec les gens comme avec des pions sur un échiquier. Et elle m’a regardé avec des grands yeux, puis a dit : « Pourquoi ? À quoi cela servirait ?… » Je ne suis pas pour faire la grève pour un rien, mais j’ai du mal à accepter la passivité des gens dans certaines conditions. Si on ne veut pas se battre, se défendre, à quoi bon se plaindre ? …
Il y a des choses en Suède qu’on « ta för givet », qu’on trouve tout à fait normal, comme la présence d’escalators et d’ascenseurs dans les stations de métro par exemple, par égard pour les handicapés, les parents avec des landaus et des poussettes, les personnes âgés avec déambulatoire etc… Mais on se plaint quand même, comme si les autorités pouvaient résoudre tous les problèmes. Ce qui m’a le plus frappée pendant la catastrophe du tsunami en Thaïlande, ce sont tous ceux qui se plaignaient que les autorités suédoises faisaient mal leur boulot. Comme si on pouvait être préparé à une telle catastrophe … Je suis tout à fait consciente que de nombreuses personnes ont souffert et souffrent encore de cette tragédie au combien personnelle, mais on ne peut pas rejeter la faute sur les administrations suédoises.
Voilà donc mon opinion des Suédois après presque dix ans passés en Suède. J’ai eu l’occasion de développer ces idées dans un des grands quotidiens suédois – dans le supplément du dimanche, certes, mais quand même !… 🙂 Et maintenant, j’aimerais bien pouvoir remercier la personne qui m’a recommandé à cette journaliste. Car la journaliste m’a contacté par l’intermédiaire de mon blog après en avoir reçu le lien par quelqu’un qui me connaît. Qui est-ce ? Est-ce que cette personne osera se dévoiler ici ? 😉