Le mot de la semaine n’est ni difficile à traduire, ni difficile à prononcer, même si sa prononciation suédoise diffère un peu de la française : on dit à peut près [pachoune]. Il se décline de cette manière-là :
en passion [ène pachoune] = une passion
passionen [pachounène] = la passion
passioner [pachounère] = des passions
passionerna [pachounèr(e)na] = les passions
Ce mot, en suédois comme en français, a changé de signification à travers les âges. Une passion, aujourd’hui, correspond à un sentiment très fort et a une connotation souvent positive ; autrefois, le mot désignait toute émotion forte, positive ou négative. C’est dans ce sens qu’il est utilisé dans le titre de la nouvelle exposition du Nationalmuseum, inaugurée le 7 mars par la ministre suédoise de la culture, Lena Adelsohn Liljeroth : « Passioner. Konst och känslor genom fem sekler » en suédois, « Passions. Five Centuries of Art and Emotions » en anglais, ou « Passions. Cinq siècles d’art et d’émotions » en français.
Passioner – konst och känslor genom fem sekler from Nationalmuseum on Vimeo.
Le point de départ de l’exposition sont les Caractères de Charles Le Brun, dessins à travers lesquels il essayait au XVIIème siècle de systématiser les expressions des sentiments et qui ont inspiré de nombreux artistes postérieurs. Mais l’expression des sentiments est quelque chose qui a toujours intéressé et interrogé les artistes, comme en témoigne la copie en plâtre du célèbre Laocoon, dont l’original, datant du IIème och Ier siècle avant J.-C., fut redécouvert en Italie en 1506 et est désormais exposé au musée Pio-Clementino au Vatican.
L’exposition du Nationalmuseum se base essentiellement sur les riches collections du musée dont les peintures, sculptures, dessins et gravures regorgent d’exemples illustrant des sentiments, ou l’absence de sentiments pour certaines. On y voit des œuvres de l’Hollandais Rembrandt, du Suédois Sergel, et du Français Coypel pour n’en citer que quelques-uns.
Pour compléter et élargir l’argument, des œuvres plus modernes ont été empruntées à d’autres musées, par exemple Edvard Munch, Charlie White, Absalon. De nombreux livres ayant trait à la physiognomie sont également exposés. Les œuvres vidéo de Bill Viola constituent le fil rouge de l’exposition : les six œuvres empruntées sont issues d’une série de 24 intitulée justement Passions à travers laquelle il réinterprète des thèmes courants de l’histoire de l’art en les rendant universel et plus humains, comme par exemple dans Dolorosa.
Mon œuvre préférée, dans cette exposition, est celle de l’artiste hollandaise Rineke Dijkstra : une œuvre vidéo sur trois grands écrans intitulée Wheeping Woman, qui met en scène un groupe d’écoliers faisant face à une œuvre de Picasso lors d’une visite à la Tate Liverpool. Le côté génial de l’œuvre de Dijkstra est qu’on ne voit jamais l’œuvre de Picasso, mais seulement la réaction des enfants. Une réaction par les mots mais aussi par les gestes, dans leur interaction entre eux-mêmes et surtout entre eux et la peinture de Picasso. Le visage d’un des garçons exprime l’empathie qu’il ressent en étudiant le visage de Dora Maar pleurant. Pour moi, c’est l’œuvre la plus pertinente de l’exposition car elle montre comment l’être humain réagit aux sentiments de son prochain, par la sympathie et l’empathie. Cela rejoint le choix de scénographie de la première salle de l’exposition, pour l’occasion couverte de miroirs, justement pour refléter les sentiments des visiteurs au vue des œuvres accrochées aux murs.
Ce n’est donc pas une exposition abordant le thème de l’amour passionnel par exemple (à part éventuellement celui de la Passion du Christ) et la plupart des sentiments ne sont pas joyeux. Mais si vous voulez rire et sourire, je vous conseille vivement l’exposition parallèle, située au rez-de-chaussée du musée, qui traite de l’art de la caricature en Suède depuis le XVIème siècle jusqu’à nos jours. C’est une exposition très intéressante du point de vue historique et pleine d’humour tant par son contenu que par son accrochage.
Ces deux expositions se complètent très bien (prévoyez donc une bonne heure de visite si ce n’est plus) et elles sont ouvertes jusqu’au 12 août.
Version suédoise, ici
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